Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sinistre Disco Ball... 60  ans de dystopie psychologique
Newsletter
Pour être averti...
Une newsletter sera envoyée
quand le premier chapitre
sera posté.

Comment s'inscrire à la Newsletter ?

C'est quoi ce truc ?
En un tout premier temps, Sinistre DiscoBall n'était qu'un pari idiot sur lequel je pensais me casser la figure avant d'avoir écrit le douzième du premier jet. En un second temps, il a été envisagé, sans trop y croire, de le publier en auto-édition numérique. En un troisième, envisagé de même mais sérieusement et assez follement. En un quatrième... nous y voici. Publication sur blog.Tout  simplement. 

Description du projet : ICI.
Complément à description : LA.

Derniers commentaires
10 février 2020

1.3 > Les chevaux ne sont plus sauvages

 Année du Cheval d'Eau.

2062

Red

Assise devant les briques sans crépi ni peinture de sa maison, Grand-Mère Nuage tire sur un calumet bariolé. Un vrai calumet en bois, avec une plume qui n'est pas d'aigle mais de poulet et des perles en plastique. Descendus de leurs autovolantes dernier cri et mal rangées, des touristes lui tirent le portrait. Des citadins venus vivre quelques jours comme dans leur série préférée.

Ces ploucs ont commencé à venir quand ce fichu Matyald a créé, l'une après l'autre, trois chaîne holoTV de feuilletons plus ou moins historiques, et depuis qu'un chasseur d'actus people s'est rendu compte que le vieux milliardaire habite à moins de deux cent kilomètres, le va-et-vient n'arrête plus. C'est excellent pour les rentrées d'argent, mais désastreux pour la tranquillité du village. On a pu installer une météosphère qui évite de se planquer dans un abri météoblindé à chaque tempête. Petite, mais de bonne qualité, avec en plus des émetteurs personnalisés qui ressemblent à des rochers et ne modernisent pas le paysage. Par contre, bonjour les bastons avec les petits cons prétentieux, les saletés abandonnées dans tous les coins et les vieux imbéciles qui croient qu'un peu de fric permet de tout acheter.

Grand-Mère Nuage fait celle qui est trop vieille. Celle qui n'entend plus rien. Celle qui ne décode plus ce qu'elle entend ni ce qu'elle voit. Finaude, elle se marre dans son coin et laisse l'agitation lui passer sous le nez. Quand les gosses rentrent de l'école, elle leur raconte la vie au temps où elle avait leur âge. Le soir, elle fouille dans sa mémoire pour faire revivre les guerriers, sorciers et esprits magiques de leurs légendes, loin de ces foutus pillards d'Ouest pas sauvage.

Dans l'ombre de la porte, Red s'efforce de ne pas tirer une gueule de six pieds et ravale un grognement. Échange un regard avec l'aïeule. Ils se comprennent tellement, tous les deux ! Il se sent comme un bout d'elle. Sait qu'elle devine tout ce qui est en lui et perçoit ce qu'elle veut lui dire sans le moindre mot ni le moindre signe. C'est normal. Il est le fils de sa fille. Il est un morceau d'elle comme ils sont tous les deux issus de la terre rouge qui flotte en poussière sur la piste d'envol des voitures.

Il n'aime pas ces connards de la ville. Appuyé contre le montant, il roule une cigarette avec de la sauge et l'allume. Les connards le visent à son tour. Il a une belle stature de cow-boy façon poster et le costume qui va avec. Aussi naturel qu'une algue en silicone. Ces idiots prétentieux viennent pour randonner à cheval dans ce qui reste de nature sauvage, ou bien pour assister à un rodéo. L'un ou l'autre, il sera leur homme et ils le paieront pour ça. Il sera leur homme, mais ils devront en passer par ses conditions. Pas de rabais. Pas de caprice.

Depuis le vieux canapé crevé, Nuage observe le jeune homme. Il sait qu'elle contemple son profil. Elle est en train de se dire qu'il ressemble à son arrière-grand-père, et de faire semblant, pour elle toute seule, d'être encore petite fille et que l'ombre accolée au chambranle est celle de son papa. Au début, le jour où elle lui a expliqué ça, il trouvait que c'était idiot. À présent il joue le jeu et reste immobile pour qu'elle le voie bien. Il est une silhouette collée en ombre chinoise sur un décor clinquant de fausse rusticité à lumière soigneusement usée. Elle chantonne en rongeant sa pipe. Elle doit être en train de préparer les phrases qu'elle contera ce soir à la veillée. Les costumes en peau biosynthétique décorés de fausses dents et de turquoises reconstituées n'étaient pas là quand elle avait six ans, mais elle fait comme si. Elle réinvente son enfance. Superpose le petit théâtre où elle vit désormais à l'immonde entassement de cahutes fissurées où elle a grandi. Rêve aux générations d'avant elle. Imagine que le chef du village est chef pour de vrai et que si les visage-pâles le font trop chier, il prendra la hache de guerre pour les envoyer se faire voir ailleurs. Sauf que non. Le chef ne dégainera pas son coutelas, qui d'ailleurs est aussi faux que tout le reste. Il n'en a pas les moyens. Et il serre les dents parce qu'il le sait un peu trop bien.

Il faut réparer le toit et le camion. Les gosses ont besoin d'habits. Grand-Mère Nuage est malade. Il n'est pas d'humeur à bosser pour des clopinettes, et aucun homme du village n'osera en profiter pour lui voler sa clientèle. Les gens de la ville ne peuvent pas piger ça. Quand ils débarquent avec leurs sous, ils sont toujours sûr que celui-ci ou celui-là répondra à leurs demandes les plus saugrenues. Quand tout le monde leur oppose le même refus, ils sont persuadés qu'il y a une superstition là-derrière. Pas forcément. Des liens de clan et de village, simplement. Ça suffit.

Et puis, il reste un peu d'honneur quand même. Il a beau gagner sa vie à faire le mariolle, il tient à pouvoir le faire comme il l'entend. Même si, en fait, il aimerait pouvoir foutre tout ce monde dehors à coups de pieds au cul. Sur cent zigotos qui viennent se dépayser chez eux, c'est bien rare quand il y en a un qui n'est pas trop antipathique.

Une petite silhouette remontant le chemin attire les objectifs des touristes. Red s'avance brusquement. Il n'a pas besoin de faire plus de deux pas. Trois de ses frères de clan, qui réparaient une clôture, se sont déjà interposés. Les citadins n'y comprennent rien. On s'en fiche. Ils n'ont pas besoin de comprendre. On leur laisse déjà en faire beaucoup trop à leur aise.

Tanya est de passage. La petite sœur tellement jolie ne fait pas partie de l'ignoble spectacle dont ils sont tous les pantins. Elle ne restera pas dans la montagne. Comme tous les ados du village, elle a rêvé de la ville. Elle l'a fait mieux que d'autres, puisqu'elle y est partie. Elle a raison. Tant qu'à faire le mariolle pour gagner sa vie, autant la gagner bien. Puisqu'elle arrive à se faire embaucher dans des spectacles au cœur des grosses météosphères, elle aurait tort de s'en priver. Red a essayé, un moment. Il a vite réalisé qu'une fois tiré de son décor, il n'intéresse plus personne. Si bon cavalier de rodéo qu'il soit.

Bon cavalier, mais banal de visage autant que d'allure. Juste bon à prendre une pose de cowboy viril et mélancolique pour amuser des promeneurs. Bon à organiser des randonnées, aussi, ou bien à épater les citadins avec des tours de voltige à cheval. Il ne possède pas la petite chose qui rend Tanya différente et unique.

Sur elle, les frusques de leur triste théâtre prennent vie. Là où une autre ressemble juste à une nana déguisée, Tanya se transforme en princesse apache plus vraie que nature, en petit bout de légende qui se serait matérialisé. Où a-t-elle trouvé cette grâce d'oiseau joyeux qui la fait remarquer partout où elle passe ? C'est en tous cas ce qui lui a donné sa chance. Peut-être qu'elle, au moins, arrivera à se tirer de ce trou. A vivre dans une baraque un peu mieux que les maison délabrées où ils sont nés, eux, leurs frères et sœurs, leurs cousins, et tous les autres.

Des maisons plus vieilles que Grand-Mère Nuage.

Les cliquailleurs de photos n'ont pas aimé qu'on les écarte de Tanya et protestent avec véhémence qu'on leur a gâché les plus beaux clichés de leur séjour. Le chef Red Windfalcon Manca fait la sourde oreille. Celui qui ne comprend pas et n'a pas envie de comprendre. Ils insistent. Il s'obstine. Sortant de la cabane de Grand-Mère Nuage, le petit ami de Tanya s'en mêle. Un blanc-bec qu'elle a rencontré le mois dernier à cause d'une erreur de secrétariat de leur agent artistique commun. La voix dure, le regard fier et le ton sans appel, il explique que la jeune femme qu'ils ont voulu photographier est sous contrat pour toutes les images la concernant. Flèche du parthe, il crache à ses adversaire le nom de l'agence à contacter. Là, ils sont cloués. Argument imparable. Argument de citadin, quand même. Pas très loyal.

Les chasseurs de folklore s'en vont voir ailleurs en maugréant.

Bras croisés, petit sourire fier de lui aux lèvres, le bellâtre les regarde s'éloigner. Comme Tanya ne se réfugie pas assez vite dans ses bras à son goût, il l'attrape par l'épaule et lui colle un baiser dans le cou. Lui glisse qu'un de ses cousins va passer demain.

Red atomise son « beau-frère » du regard. Il hait ce mec. Si Tanya ne rompt pas très vite, l'avenir familial est sombre. Par chance, ni l'un ni l'autre des deux artistes n'a l'intention de bousiller sa carrière avec des enfants venus trop rapidement.

Le cousin. Merde, oui. Il avait oublié ça. Si encore Patrick pouvait l'aider à négocier avec lui ! Mais il n'y tient pas des masses. Prestidigitateur, il ne s'intéresse pas aux affaires de ses cousins industriels et n'a aucune envie de le faire. Il s'entend avec eux à condition de ne jamais parler de leurs métiers respectifs. D'après Tanya, la dernière fois qu'ils en ont croisé un, ils n'ont bavardé que de politique, société, catastrophes météo, progrès médicaux, haute technologie... un repas d'un ennui et d'une angoisse effarants.

Rien que pour ça, elle devrait le quitter.

Mais au milieu de tous ces sujets de discussion plus ternes les uns que les autres, il ne se glisse jamais la plus petite évocation de leurs activités professionnelles. Nuage, quand on lui en parle, dit que cette famille est un peu folle et qu'elle a bien raison de l'être parce que le Monde compte beaucoup trop d'imbéciles raisonnables à l'esprit en overdose d'espoir. Un jour, Red saisira ce qu'elle veut dire. Mais pas encore. Et pourtant, cela l'aiderait peut-être à supporter la belle gueule prétentieuse qui se balade au bras de la plus jolie fille qu'on ait vue sur la réserve depuis le temps du vrai Far West.

Au village, les avis sont partagés, sur le fiancé de Tanya. Il y a ceux qui, comme Red, ne l'aiment pas. Et ceux qui pensent qu'il est bel homme et qu'un gars apparenté avec « le type de la météosphère », pourrait être un bon parti.

Près du corral, parents et enfants guettent comme au zoo les chevaux pas sauvages qu'ils monteront pour balader sur des sentiers soigneusement explorés. Une bande d'ados boudeurs qui a refusé de s'attifer pour l'occasion, dragouille des filles en étalant le mieux possible ses fringues à la mode et causant chanteurs, ciné, et tout le toutim du moment. Ils attendent. Comme des sales gosses mal élevés qui savent qu'ils auront ce qu'ils sont venus chercher.

2017-12-24--Manege--NBc

 

 

Publicité
Commentaires

RAT BUFFLE TIGRE

LIEVRE DRAGONSERPENT

CHEVAL CHEVRE SINGE

PHOENIX CHIEN SANGLIER

 

Publicité
Publicité