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Sinistre Disco Ball... 60  ans de dystopie psychologique
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C'est quoi ce truc ?
En un tout premier temps, Sinistre DiscoBall n'était qu'un pari idiot sur lequel je pensais me casser la figure avant d'avoir écrit le douzième du premier jet. En un second temps, il a été envisagé, sans trop y croire, de le publier en auto-édition numérique. En un troisième, envisagé de même mais sérieusement et assez follement. En un quatrième... nous y voici. Publication sur blog.Tout  simplement. 

Description du projet : ICI.
Complément à description : LA.

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25 avril 2020

1.9 > Le petit frère

Année du Singe de Bois.

2064.

Peter.

L'automne a des couleurs de fin d'été. La sphère, au-dessus de la ville, joue au beau ciel bleu, mais les capteurs signalent une augmentation rapide de la pression atmosphérique. Ça va se gâter. Traîtreusement, comme toujours en été. Brutalement. Méchamment.

Peter, un peu inquiet, guette alternativement dans tous les sens. Le sol dégueulasse de la rue mal éclairée où les lampes éclairent moins que l'écran holographique là-bas. Les mendiants le long des murs. Les putes qui vont et viennent, plus miséreuses que désirables. Les blousons de moto que tout le monde porte, même les gosses, même les vieux, même les estropiés. Ils sont vieux et un peu déchirés, pour la plupart, mais ce sont des habits qu'on ne trouve que dans des boutiques spécialisées, et il ne doit pas y en avoir beaucoup par ici. Économie parallèle à l'évidence. Étrange obsession vestimentaire.

S'engouffre sous le porche du poste de police. Parce que c'est là qu'il va, et pour échapper à l’écœurement. Pour ne pas être noyé dans cette horreur. Désintégré à l'idée que le petit frère vient jouer ici plusieurs fois par mois.

Un bref instant, ferme les yeux. Pense à sa mère. Si seulement elle était encore là ! Une bouffée de souvenirs cherche à s'installer. S'il se laisse aller, il va pleurer. Les repousse énergiquement.

A l'entrée du jeune homme, on le guette avec curiosité, depuis les bureaux ouverts sur le couloir. Il baisse le nez. Un fils de flic qui doit venir chercher son petit frère tellement souvent que le moindre stagiaire les connaît tous les deux, ce n'est pas glorieux. Quelques vieux de la vieille, sortant du vestiaire, le saluent amicalement. Doucement comme des oncles compréhensifs. Une des rares femmes de cette unité très macho lui tapote l'épaule et chuchote un encouragement. Elle a dû sentir qu'il a envie de pleurer. Un jeune policier, à peine plus âgé que Peter, prend une mine gênée et attristée pour aborder le vif du sujet, avec des airs de copain qui sonnent faux.

– Tu viens chercher le petit angelot ?

– Oui... il est là ?

– Il est là... et m'est avis que ton père va râler solidement.

– Il a volé quelque chose ?

– J'en sais rien. Cette fois, c'est plus grave qu'un chapardage de barre nutritive pour son casse croûte et pouvoir rentrer tard. On l'a pris en train d'acheter du kerag.

– Quoi ?

Le sportif et robuste Peter Quinn a chancelé. Un des policiers le retient debout.

– C'est pas possible ! Il a neuf ans !

– On en a vu des plus jeunes, tu sais.

– Et puis.. Avec quel argent ? Ça coûte plus cher que des bonbons !

– Il avait le porte-monnaie de ta petite sœur dans la poche de son blouson.

Peter grimace. Hope est très intelligente mais très désordonnée. Bien assez pour que Terry lui ait chapardé dans son sac ce matin ou hier soir et qu'elle ne s'en soit pas encore rendue compte ! Le bon côté des choses, c'est qu'à quatorze ans, elle n'a jamais beaucoup de sous sur elle. Même lui, avec ses seize ans et son mètre quatre-vingt dix, il n'a pas le droit. Joe est terrible, là-dessus. Des enfants n'ont pas à penser argent ni à en avoir sur eux quand ils sortent se promener. La seule de la fratrie à qui Terry pourrait voler des sommes importantes, c'est Sarah. Miss Tare-Ta-Gueule, comme la nomme Mike. Lui, c'est Mr Coffre-Fort, et même Mr Bonnes Affaires. Il a des sous, le morveux, mais il faudrait se lever tôt pour arriver à lui en prendre. Où cache-t-il ses économies ? Peter, pour l'embêter, a plusieurs fois essayé de deviner. Il n'y est jamais arrivé. Mike a plusieurs fois été vu en train de trafiquer des bonbons à l'école et il négocie aussi ses services pour expliquer les exercices ou préparer les interros. Ça lui a valu plusieurs punitions de la part de l'établissement, mais Joe approuve tacitement, alors il continue et à en juger par les paquets de biscuit qu'il s'achète, le magot doit être joli. Quant à Peter... pas très riche, et moins étourdi que Hope, mais parfois distrait et il ne vérifie jamais le contenu des poches de son blouson ni celui de la petite bourse cachée sous son matelas. Il est donc une bonne cible pour le petit frère aspirant délinquant.

Machinalement, il a porté la main à sa poche. Tout de suite, se sent bête d'avoir fait ça.

La cloison vitrée qui sépare le couloir de la salle d'attente montre le projecteur holographique qui interrompt une émission de variétés pour passer un flash-info. L'holospeakerine est programmée en cheveux gris perle à pointes bleues. Flash météo. Rentrez chez vous tout de suite. Grave alerte en cours. Péril intense sur la sphère dans moins de trois heures. Les abrimétéos des espaces agricoles se sont déjà barricadés et on est en train d'évacuer les magnétovoies pour les arrêter. Toute l'énergie disponible va être orientée sur les sphères. Là-dessus, un autre holospeaker prend la place, masculin et programmé en cheveux vert et noirs, pour expliquer que le KEY ne donne toujours explication sur les sources d'énergie nouvelles qu'ils ont découvert, mais a assuré hier une fois de plus qu'elles sont renouvelables. La speakerine, à présent passée en cheveux noirs elle aussi ajoute que les représentants du groupe financier ne semblent pas très sûrs d'eux sur l'aspect renouvelable, mais qu'aucun des experts sollicités pour examiner leurs usines n'a relevé de pollution et que Baudouin Matyald a exigé de ses chefs d'entreprise qu'ils acceptent toutes les inspections, quitte à devoir fermer parfois les installations. Toutes les interruptions de travail ainsi produites sont accordées aux employés en congés payés et formations. Le speaker masculin reprend la parole pour annoncer qu'une émission sur le sujet, initialement programmée dans une semaine, sera diffusée aussitôt après le passage de l'ouragan, et conclure en précisant une évidence, à savoir que toutes les émissions sont interrompues jusqu'à fin de la tempête, sauf les chaînes d'infocataclysme, que chacun est prié de consulter au moins une fois par heure.

A l'intérieur de Peter, c'est comme si l'ouragan était déjà passé. Tout est en morceaux, tout est par terre, et des débris sont restés accrochés ici et là, prêts à se casser la gueule en faisant encore plus de dégâts. Pas pleurer. Surtout pas. Il est un homme.

Fatigué d'avance par l'orage qui va éclater quand leur père rentrera, il demande d'une voix lasse s'il peut emmener son petit frère.

– Non. Pas tout de suite. Yavan est en train de lui faire un sermon.

– Il faut qu'on rentre avant l'orage.

– Yavan a dit qu'il vous déposera. Il doit patrouiller près de chez vous, avec son groupe.

Chan Yavan. Un vieux pote à leur père. Terry ne l'aime pas des masses, et à vrai dire, Peter non plus. Ce débiteur de morale épuiserait les nerfs de n'importe qui. Le bon côté, c'est que ça veut dire que c'est lui qui s'est occupé du dossier, et on peut espérer qu'il laissera couler. Après tout, le vol a été commis sur un proche et la consommation de drogue n'a pas de précédent. Si on lui épargne l'examen médical pour déceler des traces anciennes, Terry peut s'en tirer avec un avertissement au poste et une engueulade paternelle. Personne, ici, n'aura envie de laisser filtrer aux responsables du SU qu'il y a des gosses de flics qui consomment du kerag.

Neuf ans... bon sang... qu'est-ce qui lui a pris ?

Pis d'abord... Pourquoi il vient traîner dans le coin ? Ce quartier dégueu, c'est pas un endroit pour jouer ! Il ne pourrait pas rester en bas de leur immeuble ? Au moins, là-bas, c'est pas guerre des gangs une fois par semaine !

Devant un des bureaux, une policière en uniforme SU surveille trois morveux qui ne doivent pas avoir plus de treize ans. Presque maternelle. Et sert d'interprète au stagiaire qui essaye désespérément d'établir leur dossier. Non que leur argot soit vraiment incompréhensible, mais leur voix ressemble à celle de robots prêts à tomber en panne. Peter, tout à coup, réalise le vide de leurs regards. Horrifié. Shootés à mort. Il n'en avait jamais vus qui soient dans un état aussi rude. Sûrement aux limites de l'overdose.

Joe, il y a quelques temps, a évoqué à table que les revendeurs du Marionnettiste écoulent à présent une version du kerag additionnée d'un truc qu'on a nommé L4 et qui est voisin du leydrok. Les petits gangs indépendants ne proposent encore que les versions antérieures du produit.

Ces enfants inertes ont tous cette chose dans les veines. Dans la tête. Et Terry est comme eux.

Certains dealers, sans doute moins cons que la moyenne, ont réalisé le danger et déclaré la guerre à ce produit. Une recrudescence de rixes et règlements de comptes va inévitablement avoir lieu. Le jeune policier qui explique ça à Peter mâchouille une gomme énergétique avec un acharnement anxieux et des yeux hagards qui dénoncent des nerfs à bout.

Trois silhouettes portant l'uniforme renforcé de l'unité SU viennent d'entrer. Peter les regarde ôter leurs casques. Joe Quinn doit être quelque part en ville, avec ce même harnachement sur le dos.

Parce qu'il ne sait plus où il en est, l'adolescent dégaine son téléphone et appelle la grande sœur. Elle, peut-être, elle saura comment présenter l'affaire à leur père. Allô Sarah ? Petit frère bobo. Tout petit frère a fait des bêtises. La gorge de Peter se noue et ses tripes aussi. Ne pas pleurer. Un grand garçon de seize ans et un mètre quatre-vingt dix ne se conduit pas comme un bébé. Grande sœur n'est pas surprise. Pas au début, en tout cas. Peter bafouille à voix basse pour expliquer. Il la sent nerveuse et inquiète. Elle tente d'être apaisante mais doit être en train de se ronger les ongles. Terry est de plus en plus difficile à tenir. Il cherche les occasions de se faire remarquer. Jubile quand Joe est en colère. Pragmatique, Sarah réfléchit déjà à la façon de planifier les emplois du temps pour ne pas laisser Terry sans surveillance. A moitié rassuré, Peter raccroche. À moitié seulement.

Oui. Il va falloir surveiller Terry. Il ne faut pas le laisser traîner comme il a commencé à faire. S'il continue à fuguer entre l'appartement et l'école pour aboutir près du Losange, ça finira mal. Très mal.

Le petit frère ne sort toujours pas du bureau de Yavan. Un stagiaire qui est allé se faire un café en apporte un à Peter. Une stagiaire. L'uniforme et les cheveux courts la rendent androgyne, mais c'est une femme. Jeune et visiblement adepte des salles de sport. Musclée jusqu'à la laideur. Aimable, elle lui conseille de s'asseoir dans la salle d'attente. Peter déteste cette espèce de cage en vitres blindées. Il n'ose pourtant pas dire non et pousse le battant transparent rayé de graffitis.

Par tradition familiale, Sarah a décidé d'entrer dans la police. Il en fera sûrement autant.

Et Terry ?

Encore des SU qui arrivent. Cinq. A gestes lents et un peu mécaniques, ils détachent leurs casques. Avant d'avoir vu son visage, Peter a reconnu Joe, et comme le vieux policier a l’œil vif, lui aussi a déjà aperçu son fils. En quelques pas rapide et une porte malmenée, il l'arrache au siège inconfortable où il a pris place. Le tire vers le vestiaire en exigeant de savoir ce qui l'a mené là.

Ce n'est pas la première fois que Peter vient récupérer Terry. Dans les yeux de Joe, il voit que ça aurait bardé férocement, même pour une simple escapade. Une grosse colère dont il aura bien plus mal que le petit dernier réprimandable.

Honte par avance. Peter rougit à l'idée de devoir lui raconter. Comme si c'était lui qui avait fait ça, et non le petit frère.

D'habitude, Terry échoue là suite à des chapardages sans importance. Le plus souvent, un truc qu'il a piqué pour améliorer son casse-croûte. Une fois, il a chouravé des trucs au vrai chocolat dans une pâtisserie de quartier aisé, mais il a vite compris que dans ce type de secteur, les vidéosurveillances sont intenses. D'autres fois, il est juste ramassé parce qu'un policier a trouvé qu'il n'a pas a gueule d'un gamin du Losange et a conclu au mioche égaré ou fugueur. De plus en plus souvent, il a carrément été reconnu. Fils de policier errant dans les rues mal famées. La honte !

Le Losange est tout près. Avec ses rues qui ressemblent à l'enfer. Est-ce que Terry pousse ses explorations jusque là-bas ? Ou bien il se contente encore de la zone sous la magnétovoie, l'espèce de no man's land qui marque la frontière ?

Renaud---500

 

 

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Commentaires

RAT BUFFLE TIGRE

LIEVRE DRAGONSERPENT

CHEVAL CHEVRE SINGE

PHOENIX CHIEN SANGLIER

 

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