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Sinistre Disco Ball... 60  ans de dystopie psychologique
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C'est quoi ce truc ?
En un tout premier temps, Sinistre DiscoBall n'était qu'un pari idiot sur lequel je pensais me casser la figure avant d'avoir écrit le douzième du premier jet. En un second temps, il a été envisagé, sans trop y croire, de le publier en auto-édition numérique. En un troisième, envisagé de même mais sérieusement et assez follement. En un quatrième... nous y voici. Publication sur blog.Tout  simplement. 

Description du projet : ICI.
Complément à description : LA.

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2.6 > Plus de boulot

  Tigre de Métal

14 juin 2070

 

Patrick.

Le petit poste de radio que Patrick a posé sur la coiffeuse grésille comme la vieillerie qu'il est. Il était neuf à l'époque où les parents de Gary étaient jeunes et pas encore parents. Sans être vraiment du genre à collectionner les reliques, Patrick aime bien employer celle-là pour écouter les infos. On avait annoncé des tas de belles choses quand le fameux Marionnettiste a été arrêté. Pour le moment, il en découle surtout un énorme regain de violence, et la police n'a pas tellement l'air d'avoir endigué les innombrables trafics qu'il contrôlait. Peut-être que ça a ralenti un peu, mais ça semble surtout leur échapper totalement et partir dans tous les sens, sur toute la planète, aux mains de plein de petits gangs différents qui agissent de façon complètement imprévisible. Le bordel total.

Voyager devient très difficile. En plus des zones d'insécurité, il faut s'attendre à croiser des secteurs en proie aux luttes d'influence. Sans compter les potentielles interactions avec les milieux ultras contestataires, qui sont de plus en plus déjantés et de moins en moins endormis. La disparition du Marionnettiste a réveillé des quantités de mouvements dont certains somnolaient depuis trente ou quarante ans.

Patrick songe à un mail reçu hier de son cousin Olivier. Triste nouvelle. L'épouse de son frère Hugues a été tuée lors d'un attentat sur une magnétovoie. Une fille bien, la femme de Hugues. Avocate de talent. Membre fondatrice d'une association en faveur des gosses des rues, les « coyotes », qui les aide à trouver une formation et un travail. Et pis, le plus jeune de leurs deux fils n'a que quatre mois. C'est moche. Olivier devait se marier cet été. C'est repoussé. Pas vraiment qu'il soit pressé, mais ça l'oblige à recontacter tout le monde. Patrick n'avait pas l'intention de venir et, quelle que soit la nouvelle date, il n'ira pas non plus et devra réitérer les excuses. Pour le moment, il a répondu par des condoléances. Et il imagine l'angoisse d'Olivier, qui a toujours été un garçon nerveux et inquiet, malgré ses allures de type cool et sûr de lui. Il y a quatre ans, la crise cardiaque de leur père. Maintenant Katia. La vie est une salope pour tout le monde. Y'a rien à en tirer. Rien.

Il a été con d'y croire. Rêve de gosse.

Une main nerveuse cherche une autre station sur le vieux poste de radio. Un orchestre symphonique se présente. Patrick écoute un instant, puis ses pensées reviennent au veuvage de Hughes et à toute cette fichue arnaque qu'est l'existence.

La vérité, c'est qu'il n'y a pas de Happy End. Nulle part. Rien que de la crasse et du malheur partout. Les espoirs n'ont été inventés que pour être déçus. Les vivants pour mourir. Point barre.

Une larme explose sur le sol de béton sans revêtement.

La loge sent la poussière et le renfermé. Des générations de saltimbanques y ont posé leurs valises. Des siècles, peut-être. Patrick s'en fiche. Son dos se voûte. Son œil se colle à ses chaussures. Il attend. S'il fumait, il aurait sûrement déjà enfilé un paquet. Il ne fume pas. C'est trop ruineux, et puis dans ce métier de chien il vaut mieux avoir une santé de fer.

Le vieux divan inconfortable craque quand il se lève.

À défaut de pouvoir faire les cent pas, il tourne en rond comme dans une cage.

Pestant contre le directeur qui l'a viré du jour au lendemain et le public qui a des goûts de chiottes, il se met en devoir de sortir le casse-croûte du sac, pour sa femme et lui-même. Les illusionnistes ne sont plus à la mode, il paraît ! Aurait tout de même pu le garder jusqu'au bout, au lieu de rompre le contrat. Il faudra relire en détail, et surtout les petites lignes. Cela fait déjà presque un mois, mais Patrick n'en a pas encore eu le courage. Peut-être que son frère voudra bien venir l'y aider. Stuart est plus méticuleux qu'une fourmi. S'il avait eu la fibre artistique, il aurait pu devenir une mégastar les doigts dans le nez. Il est plutôt doué pour les manipulations d'illusion, mais il n'aime pas ça.

Sur le cadran noir fixé au mur, les bâtonnets blancs changent et rechangent de position. Tanya est en retard. Son numéro plaît beaucoup. Elle a dû avoir un rappel. L'autre jour, on l'a contactée pour une tournée en solo. Rien qu'elle, et quelques débutants venant faire la première partie à chaque étape. Elle a essayé de négocier pour qu'on accepte Patrick comme partenaire sur au moins un ou deux numéros. Ce n'est encore ni perdu ni gagné. L'ennui, c'est que le gars veut voir ce qu'ils font ensemble, et que les trois numéros qu'ils ont commencé à préparer sont très loin d'être au point.

Le directeur a fait une drôle de tête, en apprenant qu'elle s'en allait. Il a même demandé si c'était parce qu'il avait renvoyé son mari. Elle a eu un petit sourire énigmatique. Répondu qu'elle avait envie d'aller voir ailleurs. Son contrat se termine bientôt. Ça laisse juste le temps de mettre les choses au point pour la tournée.

Leur agent montre de moins en moins d'intérêt pour le dossier de Patrick. Il dit faire de son mieux. En vérité, il se tape totalement de ce dossier sans intérêt et qui ne lui rapporte rien.

L'an dernier, l'un frères de clan de Tanya a proposé à Patrick de venir travailler au village, à animer les soirées pour les touristes. Drôle d'idée. Que ferait un prestidigitateur un peu irlandais et un peu vietnamien dans la réserve navajo ? Malgré son orgueil, il aimerait pouvoir demander conseil à son père. Non que le vieux fou ait été doué pour gérer sa carrière, mais il avait toujours des idées de génie pour de nouveaux tours. Il savait surprendre le public. Il savait se rendre imprévisible et merveilleux. Gary est trop malade pour qu'il aille le fatiguer avec des questions.

Enfin, Tanya arrive. Ruisselante de paillettes roses et vertes. Ses deux longues nattes noires rattachées derrière sa tête par trois fleurs de tissu. Souple et légère comme une nymphe. D'habitude, Patrick éprouve plutôt de la fierté en la voyant. Aujourd'hui, il est jaloux. Parce que ce n'est pas pour lui, cette splendeur. Toute cette beauté, c'est pour les faire rêver. Eux. Les autres. Le public. Parce que tous ces gens la lui volent un peu. Et aussi, il ne peut pas se le cacher, parce qu'elle a du succès. Qu'elle s'envole comme un oiseau, quand lui s'écrase pitoyablement. Le public a sans doute raison. Elle est merveilleuse. Et elle a beau être sa femme, elle n'est pas à lui. Pas seulement. D'ailleurs, comme il est un peu fou, il est fier comme un coq qu'on l'admire. Et jaloux, parce que pour avoir le droit d'être fier, il faudrait qu'il soit à la hauteur. Si un autre venait, qui soit plus digne d'elle ? Ce serait horrible.

Elle commence à retirer la tenue de scène. Il va l'aider.

Belle et nue, il la fait asseoir. Lui pose un châle sur le dos. Approche le tabouret où il a posé les sandwiches et une fleur en papier, pour leur anniversaire de mariage. Elle l'embrasse. Cherche sa ceinture. Il n'est pas bien certain d'avoir envie. Depuis qu'il s'est fait virer, il se sent tout petit. Sale, peut-être. En tous cas, il ne la touche plus que des yeux, et à peine.

Elle insiste. Son regard est rempli de tristesse. Bien avant de se faire renvoyer, il ne la touchait déjà plus beaucoup. Il travaille trop, lui dit-elle souvent. Peut-être, mais c'est elle qui a du succès. Lui, à présent il est au chômage, et il a beau être un peu fou, il se rend bien compte que ça va durer. Ce contrat rompu, c'est pire que ceux qu'il n'arrive pas à décrocher. Les illusionnistes, plus personne n'en veut, paraît-il. Il faudrait qu'il se décide à le croire.

Malgré tout, peut-être parce qu'il commence à pleuvoir sur l'encre noire des grands yeux en amande, il se déshabille. De toute façon, pour éviter les frais d'hôtel, ils vont dormir là, et si ça peut éviter qu'elle s'enfiler un verre de kerag ce soir, ça sera toujours ça de pris. Elle n'est pas la seule artiste à consommer ce truc, mais Stuart dit que pour une acrobate, c'est de la folie. Il exagère. Elle n'en prend jamais avant d'aller sur scène.

Pour le moment, c'est Patrick qui est tenté de l'essayer ce machin. Peut-être qu'il se sentirait mieux. Peut-être aussi que ça lui ferait avoir des visions comme quand il était enfant. Cette idée le retient. Foutu don familial. Causer avec les morts et les esprits, très peu pour lui. Prestidigitateur doublé médium... qui dit mieux ? Pourrait aussi faire la même bêtise que Stuart. Jouer au surhomme à la gomme. Tôt ou tard, il y laisserait ses os, et serait bien débarrassé. C'est drôle comme cette saloperie d'existence, on peut y tenir. Peur de se faire engueuler par les ancêtres, peut-être ? Quelle connerie ce serait ! Et pourtant, ça y ressemble. Foutus ancêtres, qui devraient bien rester dans leur lointain passé et laisser tranquilles leurs descendants.

Les bâtonnets blancs continuent de se déplacer sur l'écran de l'horloge.

Le théâtre s'est vidé. Eux sont restés là. Dans l'odeur de poussière et de renfermé. Sur le vieux divan aux pieds mal calés et au siège trop dur.

Oubliant le public et ses modes, oubliant les petites lignes du contrat, oubliant le matériel neuf qu'il faut rembourser, et même les fantômes qui feraient mieux d'aller hanter ailleurs quand on a pas besoin d'eux.

 

2019-12--boules

 

 

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RAT BUFFLE TIGRE

LIEVRE DRAGONSERPENT

CHEVAL CHEVRE SINGE

PHOENIX CHIEN SANGLIER

 

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