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Sinistre Disco Ball... 60  ans de dystopie psychologique
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C'est quoi ce truc ?
En un tout premier temps, Sinistre DiscoBall n'était qu'un pari idiot sur lequel je pensais me casser la figure avant d'avoir écrit le douzième du premier jet. En un second temps, il a été envisagé, sans trop y croire, de le publier en auto-édition numérique. En un troisième, envisagé de même mais sérieusement et assez follement. En un quatrième... nous y voici. Publication sur blog.Tout  simplement. 

Description du projet : ICI.
Complément à description : LA.

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6 avril 2020

1.7 > Alex s'est fait flinguer

 Année de la Chèvre d'Eau.

2063.

Roch.  

Un tir bien visé a éclaté la roue avant de la vieille moto. Roch s'arrache les cordes vocales en voyant Alex s'écraser contre un mur. Ralentit. Dépasse quand même l'endroit, parce que lancé à toute allure et pas le temps de s'arrêter assez vite N'ose pas revenir en arrière parce que les gars du Marionnettiste sont trop près. Gamberge de trouille. Accélère pour effectue un tour d'immeuble afin d'avoir l'air de s'éloigner tout en revenant quand même. Cherche des yeux une cachette d'où il pourra voir sans être vu. Peut-être se servir du pistolaser presque neuf que son pote lui a dégoté.

Un des hommes de main tape du pied dans la silhouette sombre étalée en bas d'un affreux mur où clignote un holoécran presque en panne. Le speaker annonce un spectacle qui aura lieu dans la soirée et sera retransmis en direct. Envie de lui tirer en pleine poire, à cet holozouave à la con. Le gars se penche sur Alex. Semble l'examiner. Tapote plusieurs fois le casque qu'Alex s'est offert il y a deux mois. Ne prend pas la peine de gâcher une cartouche d'énergie. Entrouvre le blouson, dégaine posément un couteau, l'enfonce au point où le casque s'appuie contre le buste, puis glisse une poignée de billets dans l'une des poches d'Alex. Par cynisme ou pour dédommager les proches, le Marionnettiste donne toujours du fric à ceux qu'il fait buter. Roch ronge son frein.

Combien de charognards, dans la rue, guettent le moment de venir dépouiller le cadavre du prix payé pour son existence ? Combien de lâches qui n'osent pas approcher mais se rueront pour avoir leur part ? Le tueur secoue à nouveau la masse inerte sur laquelle la neige commence à se déposer. Expédie encore deux coups, plus violents mais moins calculés. Dans la poitrine ceux-là. Sur leurs motos, ses copains semblent fatigués d'attendre et lui font signe. Il se redresse. Balance un coup de pied dans la proie abattue. S'en va enfin.

Un peu plus loin, des enfants regardent la moto cramer. Un clochard vient se joindre à eux pour se réchauffer. Roch quitte son abri. Des tôles disposées pour camoufler le sol éventré par des travaux. Fait un pas. Il a la trouille. Un autre. Ses lèvres tremblent. Puis un autre. Peut pourtant pas pleurer.

Les vagabond de la rue observent à distance. Déçus. Affamés. Écoeurants. Contre un adolescent équipé d'un laser, ils ne font pas le poids. Le fric ne sera pas pour eux. Celui de la mort d'Alex.

A petits pas incertains, Roch arrive près du corps. Une forme noire sur un sol déjà blanc, avec des filets rouges qui coulent de l'un à l'autre. Contemple un moment. Bête et immobile. Comme assommé. Ne sait pas quoi faire. Pas quoi décider.

Depuis deux ans, Pique le protégeait. Lui, le petit fugueur élevé dans un coton humble et synthétique mais confortable quand même : il aurait fait quoi, tout seul ? La voix rèche de son oncle essaye de lui beugler à la mémoire. Il l'envoie chier. Ce vieux con fait partie d'une autre vie, à laquelle il ne reviendra pas. Plutôt crever que ramper devant ce moins que rien pour qu'il l'aide à devenir comme lui. Les pires souffrances vaudront toujours mieux que devenir un zombie comme presque toute la planète. Ça tombe bien, parce qu'il risque de déguster sévère dans les temps à venir. Il va traverser le pire du pire de ce qu'on peut subir dans le Losange. Être le jouet des démons dans le dernier cercle de l'Enfer. Leur amuse-gueule. S'il était raisonnable, il rentrerait chez sa mère. Il ne l'est pas et n'a aucune envie de le devenir. Faudra qu'il s'attire la sympathie d'un autre grand costaud capable de le défendre. Quelles que soient les humiliations, il les accepte déjà.

Alex n'était pas exigeant. Un peu de compagnie. Un guetteur pour assurer ses arrières. Roch a souvent été un apprenti indiscipliné, insolent et maladroit, mais il le supportait gentiment, en le couvant d'une affection rugueuse et protectrice. Parfois des caresses qui auraient pu devenir brûlantes mais que Roch a toujours réussi à l'envoyer offrir à d'autres.

Vague de souvenirs en pagaille avec des remords accrochés dedans. Il a peut-être un peu abusé de sa patience, des fois. Lui a pas mal menti, aussi. Mais pour que dalle, parce que c'était un malin. Gentil, il se fâchait pas. Faisait même des fois semblant de gober les bobards. Roch a une goutte dans l'œil.

Avec personne, il n'aurait pu se conduire comme avec Alex. Il s'est permis des tas de mochetés parce était sûr que le géant ne le lâcherait pas, quoi qu'il arrive. Parce qu'il avait besoin de lâcher sa mauvaise humeur et ses caprices. Nœud au bide. Toujours sympa, il ne lui en voulait pas. Il comprenait. Pour une gaffe dangereuse, il gueulait et parfois même cognait, mais pour des mots, même très méchants, il ne disait rien.

La mère de Roch s'invite dans sa caboche. Alex possédait la même patience attentive et souriante. Mais en version sauvage, féroce, indomptable. Et c'était pas une petite différence.

Roch se penche. Contemple le sang qui filtre du blouson noir vers le sol gelé où les flocons commencent à tenir. Noir, blanc, rouge. Neige, sang, Alex. Pas envie de s'en aller sans avoir revu une dernière fois l'as de Pique sur la gueule du géant. Accroupi près du corps, il l'effleure en hésitant. Observe attentivement. Même avant les coups de couteau, Alex était déjà salement abîmé. Son blouson est déchiré. Un de ses avant-bras s'est déchiré sur un bout de ferraille. Une large fêlure s'ouvre sur le beau casque presque neuf et gêne Roch pour le détacher. Tout doucement, en se mordant les lèvres pour ne pas céder aux larmes, il l'ôte avec soin. Peut-être avec respect, mot que pourtant il déteste.

Sous le tatouage, les yeux noirs s'entrouvrent, se referment, puis s'écarquillent avec une grimace douloureuse. Se fixent un moment sur l'adolescent médusé de les voir bouger. Clignent un peu. Se lèvent vers les lueurs produites par l'hologramme. Se referment encore. Se rouvrent à moitié, dans un gémissement. Stupéfait, Roch tâtonne sur le sang qui dégouline. Le type a loupé le cou. Une erreur de débutant. Il a dérapé. Le couteau a laissé une estafilade bien nette sur le casque, et entaillé la chair un peu plus bas. Même lui, il aurait pas fait une gaffe pareille. Ce type est pourtant un pro ?

Nerveusement, il fouille les poches du géant. L'une d'entre elle contient une petite boite rose où sont rangées des capsules cicatrisantes. Un vrai trésor, ce truc-là. En fait gober une au copain blessé.

– Aide-moi à me lever.

Il pèse des tonnes. Roch panique. Avec sa carrure de fil de fer, ça va être commode pour trimbaler un rocher pareil, mais s'il n'arrive pas à le tenir debout, il va rester là et crever de froid. Faut l'emmener quelque part. N'importe où. Un endroit où on pourra le soigner.

Pas facile. Il va falloir trouver un coin pire que discret. Quand la police apprend qu'un « loup » blessé se cache ici ou là, elle court le capturer vite fait. Des fois qu'il ait des infos intéressantes. Et il faut encore plus échapper aux gars du Marionnettiste.

– Quelle manie t'as, aussi, de lui chercher des emmerdes ? Tu vois pas qu'il est plus fort ? Tu peux pas te contenter de bosser pour lui, comme tout de monde ? Ça te suffit pas de lui faire concurrence ? T'es obligé d'aller farfouiller chez lui ? Même pas pour voler, en plus, juste pour te payer la tronche de ses gars ?

– Est-ce que mon écran est encore dans ma poche ?

L'adolescent ouvre des yeux ronds. Comment peut-on se soucier d'un gadget pareil quand on pisse le sang de partout ? Alex appuie sur sa clavicule. C'est là qu'il saigne le plus. Tente d'atteindre sa poche. Roch la fouille pour lui. En extrait un rouleau souple mais néanmoins déchiré, où l'électronique bave ses circuits en court-circuit et dont la batterie fait des étincelles.

– Il est cassé.

– Sitôt que tu m'auras mis à l'abri, faudra que tu m'en trouves un autre. Je te donnerai une adresse.

– Ça sert à que dalle, ces trucs ! Pour nous, du moins...

– T'as plus de gniak que d'imagination, gamin.

Envie de protester. Dit rien. Installe le copain derrière lui sur la moto survivante. La pauvre vieille épave va avoir du mal à supporter le traitement. Surtout qu'ils vont rouler vite. Faut se dépêcher. Pas attendre qu'Alex retombe dans les pommes. Ni que la neige s'accumule ou que le vent se mette de la partie.

Au-dessus de la météosphère, ça a l'air d'être rudement secoué. Pourvu qu'il n'y ait pas de panne dans les émetteurs. Y neige déjà bien assez comme ça. Certains jours d'hiver, Roch se dit qu'il aurait dû fuguer vers un pays aux hivers moins réfrigérés. Il est sentimental. Il n'a pas eu le courage de s'éloigner beaucoup. Le Secteur des Lacs, c'est son coin de planète. Les autres mégapoles, il ira peut-être un jour, s'il se présente une raison pour le faire. Pour le moment, il est là. Comme beaucoup de fugueurs, il s'est juste planqué. La Poubelle du secteur des Lacs est gigantesque et puante à souhait. Tout ce qui y entre s'y noie aussitôt. Pourquoi serait-il parti plus loin, alors qu'il n'avait même pas de moto ? Il y a des coyotes qui se risquent à voyager en clandestins dans des magnétotrains, mais il n'a pas osé faire comme eux. Il a peut-être eu la frousse des cadavres électrocutés. Il n'avait pas assez envie pour tenter le coup. Il ne savait pas quelle destination choisir. Trois ans plus tard, il se dit qu'il n'en aurait pas été capable. Et que de toute façon, il n'y a rien à aller chercher nulle part.

Alex n'en parle pas beaucoup, mais lui, il a fait ça. Il a voyagé comme le font les coyotes. Vu d'autres magnétogares, d'autres poubelles, d'autres bouts de planète. Mais il est revenu. Il ne dit jamais pourquoi. Peut-être parce que lui aussi, il est d'ici, même s'il fait froid l'hiver.

Faute de mieux, et parce qu'il manque d'imagination pour trouver une planque inattendue tout autant que d'audace pour aller dans les squats souterrains, Roch se décide pour un établissement du même ordre que la Baleine Bleue. Le Bateau Cosmique, ça s'appelle. Il devait y avoir des paillettes plein les murs, quand c'était neuf. A présent, les murs sont englués d'au moins un quart de siècle de crasse. Pas important. On y loue des chambres et les gérants ne sont pas curieux. Grognent un peu qu'il faut pas faire de taches de sang partout, mais cherchent pas à savoir ce qui s'est passé. Dans le Losange, personne de sensé ne pose ce genre de question quand il y a un blessé. On a juste besoin de savoir s'il a de l'argent ou s'il est poursuivi. Ce qu'il y a à gagner et ce qu'il y a à perdre.

Rester en vie. Gagner sa bouffe. Trouver où nicher. Éviter de se faire buter. Si on a une meuf, ou pire encore des mioches, veiller sur eux aussi. Jamais se frotter à plus fort que soi, ni prendre de risque inutile. Pour ce couple déjà presque vieux, Alex et Roch sont des dangers potentiels. En premier lieu parce qu'ils sont armés et en second parce que l'état en lequel se trouve Alex laisse imaginer qu'ils sont poursuivis. Au moindre faux pas, Roch sait qu'ils peuvent choisir de le foutre à la porte. Il négocie prudemment.

Dans la salle, des clients causent du Marionnettiste. Échangent les derniers potins et les dernières offres d'embauche. Roch évite soigneusement le moindre froncement de sourcil.

L'entrée de deux loubards de basse espèce dans le bistrot n'a attiré l'attention qu'un instant. L'un des deux est esquinté. Ce sont des habitants de squats qui vont s'offrir quelques jours le luxe d'un loyer. Rien qui vaille qu'on y attarde son attention.

Dans la faune agressive du Losange, Alex appartient à la catégorie des « loups », et malgré sa stature, on ne peut même pas dire qu'il en soit un gros. Le gros laser collé à la jambe de Roch interdit de le classer « coyote », la propreté de son visage et le relatif bon état de ses habits le séparent des « hyènes ». Dans les voix qui flottent au-dessus des tables, Roch entend hésiter entre « louveteau » et « lapin », puis chuchoter qu'il y a des lapins qui croient pouvoir devenir des loups.

Roch se tait. Évalue les gens qui l'entourent. A vue de nez : rien que des caves. D'ailleurs, aucun n'est armé. Lapin ou louveteau, c'est du pareil au même, pour eux. Il est armé, possiblement agressifs, et cela suffira pour qu'il ne lui cherchent pas de noises.

Si Alex crève, Roch deviendra sûrement un lapin, mais pour le moment, il est un louveteau et compte bien le rester. Malgré tout, il se sent fragile, vulnérable, gamin perdu dans la jungle. Sitôt le maître guéri, il faudra que l'apprenti mette toute la gomme pour progresser.

Une vieille clé accrochée à un petit martien rigolo tombe sur le comptoir. Roch extrait du blouson d'Alex un des billets du Marionnettiste. Le prix de la vie. Il faudra compter. La somme semble grosse. L'est-elle assez pour payer la chambre, la bouffe et un docteur jusqu'au rétablissement d'Alex ? Ou un guérisseur. Ou les deux.

Le poids sur l'épaule de Roch se fait plus lourd. La pression des doigts dérape. Le pote est tout près de tourner de l’œil. Le calme avec lequel le jeune homme effectue ce constat l'étonne. Il devrait paniquer. Se sentir seul en milieu hostile. Être terrorisé des périls possibles. Au lieu de quoi, un réflexe lui a fait tirer le bras du géant épuisé pour le passer autour de son cou.

– Tiens bon. Juste encore une minute.

Combien de sang il a perdu ? Beaucoup, peut-être ?

Sitôt dans la chambre, il comptera les sous. Même si les soins coûtent cher, il y a sûrement assez pour quelques jours. Assez pour que copain génial ait le temps de monter un coup qui les conduira un peu plus loin. Un coup que Roch devra effectuer seul, mais après tout... il a dix-sept ans et il est armé.

Poussant le géant épuisé et le portant en même temps, Roch lui fait monter l'escalier. Écrasé sous les kilos de muscle, il serre les dents et survolte son système nerveux. Transpire autant que le copain saigne. S'écroule sur le lit avec lui. Épuisé. Gagnant. Le louveteau va perdre ses dents de lait.

soleil---contraste-cadre

 

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RAT BUFFLE TIGRE

LIEVRE DRAGONSERPENT

CHEVAL CHEVRE SINGE

PHOENIX CHIEN SANGLIER

 

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