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Sinistre Disco Ball... 60  ans de dystopie psychologique
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C'est quoi ce truc ?
En un tout premier temps, Sinistre DiscoBall n'était qu'un pari idiot sur lequel je pensais me casser la figure avant d'avoir écrit le douzième du premier jet. En un second temps, il a été envisagé, sans trop y croire, de le publier en auto-édition numérique. En un troisième, envisagé de même mais sérieusement et assez follement. En un quatrième... nous y voici. Publication sur blog.Tout  simplement. 

Description du projet : ICI.
Complément à description : LA.

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8 juin 2020

1.12 > Entre le mort et les vivants.

 Phoenix de Bois

2065

 Marilou.

 Malgré la tête de mort dégoulinante de sang qu'il portait tatouée au bras droit et son goût détestable pour les cravates à fleur, Niklas était un chic type, et encore bien plus que ça. C'était un mec en or. Il adorait les fleurs, sous toutes les formes et de toutes les couleurs. Depuis qu'il est mort, Marie a renoncé à tous les pseudos qu'elle employait sur le Net avant de le connaître. Elle n'emploie plus que les surnoms qu'il lui donnait. Des noms de fleurs.

Rien que des fleurs parfumées.

Trois ans déjà. Trois ans de remords pour toutes les infidélités qu'elle lui a faites. Il était pourtant parfait sur ce point-là aussi, mais elle est comme ça. Accro au plaisir et aux changements de partenaires. Elle avait besoin de voir ailleurs pour mieux l'aimer lui. Est-ce qu'il s'en rendait compte ? Paumé comme il était parfois, peut-être bien que non. À présent, cette idée est comme un couteau. Trop tard pour lui avouer. Vivre avec les remords. Attendre chaque soir le retour de celui qui ne reviendra plus. Avec ses petites manies à la fois exaspérantes et mignonnes, ses abus de kerag affolants, ses fringues à la con, ses jolis rêves d'avoir trois mômes et habiter une cité marine, et sa gentillesse irremplaçable.

Trois ans, déjà. Trois années qui ont paru à Marie durer trois siècles et qui pourtant n'ont pas cicatrisé le moins du monde sa blessure. Dans son cœur, le sang de Niklas coule toujours sur le trottoir.

Tué pour les cartes dans son portefeuille, a dit la police. Marie sait qu'il n'y avait pas que cela, mais elle n'a pas osé parler de ces gens un peu bizarre pour qui il effectuait des travaux informatiques dont il ne voulait pas lui donner les détails. Elle a sans doute eu raison, car deux mois après, un homme tout aussi bizarre que ceux-là, mais qu'elle ne connaissait pas, est venu l'interroger. Elle s'est méfiée. Était-il de leur côté ? Était-ce un flic ou un truand ? Pourquoi lui aurait-elle dit ce qu'elle savait ? Et d'abord, que savait-elle ?

Rien. Rien de rien. Niklas venait de sortir de chez eux pour se rendre à son boulot. Il était programmateur holographique. Employé à l'entretien des écrans, dont les logiciels, pour on ne sait quelle raison, plantent sans cesse dans les bas-quartiers. Un boulot stable, mais pas fameusement payé, d'où les nombreux petits à-côté qu'il effectuait sans cesse. Ils vivaient dans le Losange, dans un appartement souterrain. Il n'y a pas beaucoup de galeries d'habitation qui y soient en bon état, sauf au niveau de la magnétogare, mais c'est un coin particulièrement dangereux. Comme l'ascenseur principal était en panne depuis plusieurs années, ils sortaient souvent par une petite porte mal éclairée. C'est là que le drame s'est produit. Elle n'a pas vu les assassins. Comme une conne, elle s'était arrêtée devant un miroir pour vérifier son maquillage. Un passant l'a trouvée en train de secouer le corps, totalement hystérique. Ça aussi, c'était con.

Trois ans plus tard, elle habite encore la ville souterraine, et elle y restera sans doute toujours. Niklas a été tué tout près de la porte sur l'extérieur. Dans une étroite ruelle à l'air libre, juste un peu enterrée sous des passerelles, des antennes, des engins en tous genres. Là où la lumière commence à baigner le sol. Il y avait du soleil ce jour-là, et des ombres brutales dessinées sur le goudron. Elle déteste le ciel. De toute façon, il est toujours sale. Même quand il fait beau. En plus, c'est de là que tombent ces saloperies de pluies toujours polluées. Un jour, il faudra qu'elle essaye le haut des immeubles. Pour voir. Des fois que ça lui plaise. Des fois que dans les hauteurs, l'air soit plus pur. Elle n'y croit pas, mais ça lui permettrait de savoir. Et revenir sous terre, sûre de devoir y rester. Par contre, elle a quitté le Losange sans hésitation ni remord. Basta. Loin, très loin de cette puanteur crasse, du kerag qui se déverse partout et du sang qui tache les murs gris. Ce cauchemar, elle ne le laisse exister, revenir dans sa vie que quand elle le veut bien.

Ses collègues et plus ou moins copines de boulot veulent qu'elle trouve à nouveau quelqu'un. Elle sait. Il faut continuer à vivre. Elle pourrait même réaliser ce fameux rêve qu'il avait et qui la rendait enragée. Sauf que les autres gars, ils sont tous nuls. Vides. Artificiels. Synthétiques. Ce ne sont pas des hommes mais des choses, des images, des robots. Et les filles aussi. Pareil. Des robots à peau chaude mais sans âme. Parfois capables de réjouir le corps, mais sachant juste glacer l'âme un peu plus chaque jour. Ou peut-être que c'est elle qui en est un ? La tripotée de mioches dont Niklas rêvait lui fait collectionner la littérature enfantine. Les contes pour enfants remplissent la dictoliseuse à hologramme grandeur nature qu'elle a installé près de son lit. Quand elle est seule, elle s'endort en écoutant la voix cristalline d'une fée lui raconter Boucle d'Or. Au lieu d'être maman, elle devient petite fille.

Étendue sur le grand lit de son appartement célibataire, luxueux et raffiné, elle contemple le baldaquin violet semé d'étoiles. Elle baye un peu. Cette nuit, elle n'était pas seule. Juste pour le plaisir. Rien de plus. Rien à attendre. Ni avec les hommes, ni avec les femmes. Aucun sentiment à espérer, qui puisse combler le trou noir. Le vide. La tombe de Niklas. Elle s'interdit le sanglot qui tente de se former. Elle doit survivre. Continuer à exister. Le venger, même.

L'homme étrange qui est venu la voir après qu'il soit mort lui en a fourni la possibilité. Elle a d'abord eu très mal d'apprendre que Niklas travaillait pour le Marionnettiste. L'homme a souri, compréhensif, et expliqué que c'était ce caïd qui avait payé ses études et qu'il n'avait pas d'autre choix que rembourser. La fautive aurait pu être sa mère, mais elle non plus n'avait pas eu vraiment le choix. En fait, dès lors qu'on a affaire au Marionnettiste, bien peu de gens ont le choix. Niklas, pour cela, avait choisi de travailler aussi avec ceux qui œuvrent à le détruire. Malheureusement, il était habile informaticien, mais trop sûr de lui et mauvais comédien.

– En fait, c'est de ma faute. J'aurais dû mieux le préparer. J'aurais dû mieux surveiller.

C'était un vieil homme aux traits usés et au port de tête digne. Le genre d'individu qui serait sans doute distingué en costard, mais il portait seulement un affreux blouson râpé. Il avait les traits creusés par l'âge et les gestes alourdis, mais on percevait qu'il avait dû, plus jeune, être sportif, musclé et beau gosse. Le bel agent secret sorti d'un feuilleton en endossant au passage trente ans de plus et des cheveux blancs. Aimable et poli comme on n'en trouve plus nulle part. Démodé de savoir-vivre et d'idéal honnête et altruiste.

Marie s'est laissée convaincre. Elle a filé les codes de l'ordinateur de Niklas. Elle a raconté des tas de détails sur sa vie. Même des trucs insignifiants. Comme elle aussi elle s'y connaît en informatique, elle a pris la place de son chéri sur plusieurs forums. Bien peu se sont douté de quelque chose. Elle a filé au vieux en blouson des tuyaux à sa place.

Depuis quelques jours, le vieux ne répond plus. Elle vient d'apprendre qu'il a quitté son poste. Raison de santé, paraît-il. Inquiétant, qu'il n'ait pas pris le temps de lui dire adieu, ni sans doute au autres agents dont il s'occupait. Normal, sans doute. Vieillesse rapide d'une vie bien chargée. Elle espère qu'il n'a rien de grave, mais ne peut rien faire de plus, même pas lui envoyer un mail de soutien. Elle connaît son nom, mais Alpha n'apprécierait pas l'initiative, ni probablement la famille.

Un mail lui annonce, presque avec déférence, que l'agence va lui attribuer un contact. Il est indiqué que le vieux responsable la considérait comme un agent de haute valeur. Elle ne s'en est jamais rendue compte. Il l'a si souvent engueulée comme une gamine ! Elle renifle bêtement. Oui, peut-être qu'il l'aimait comme si elle avait été de sa famille, après tout. Ne disait-il pas souvent qu'il avait son travail dans le sang ? Comme son grand-père et sa mère avant lui ? Comme un de ses neveux, qui avait voulu suivre la trace ? Parfois, il appelait Marie « mon enfant »...

Sens du devoir. Conscience professionnelle. Maladie familiale. Ça fait sourire, mais c'est beau, en fait. C'est même sublime. Elle, qui a perdu ses parents très jeune, ça lui fait quelque chose ce lien tissé, pas vraiment paternel, mais tout de même tellement étroit.

Le vieux, elle le connaît sous son vrai nom, grâce à son autre métier. Celui de journaliste. Elle a travaillé plusieurs fois sur des reportages où il tenait une place importante. D'instinct, elle a compris qu'il ne fallait pas poser de question. Pas parler de ça. Qu'il devait rester anonyme. Nom de code Alpha01, ou bien Albert01. Pépé Albert, pour Marie et sans doute pas mal d'autres.

Ce vieux, il suffit de le regarder pour comprendre qu'il y a vingt ans, c'était une force de la nature, et les photos de sa jeunesse confirment cela au moins au triple, mais les années lui sont tombées dessus comme à n'importe qui. La cage thoracique large a perdu ses muscles et son souffle. Les membres vifs et puissants se sont engourdis. Sa femme s'inquiète pour lui, et il n'aime pas lui imposer ça. Son fils aîné va bientôt se marier. C'est sûrement mieux qu'il arrête. Qu'il abandonne ce job de dingue où il ne gagne même pas de l'argent de poche. Il profitera de sa famille. A son âge, il faut qu'il se repose. Pépé Albert était attachant, protecteur, compréhensif et lui a appris plein de choses, mais elle n'est ni sa fille ni sa petite-fille. Ce n'était qu'un croisement de vies.

Le signal du vidéophone se fait entendre. Un miroitement rose illumine les rideaux et le mur. Elle se lève lentement.

C'est la mélodie programmée pour annoncer les appels de l'agence. Ceux qui sont urgents. Ceux par lesquels on va lui demander de rencontrer quelqu'un, pour bidouiller un piège, ou bien traficoter la manipulation d'un petit gang. Elle hésite un instant à appuyer sur le bouton du projecteur. Ce ne sera pas la première fois qu'un autre que le vieux l'appelle, mais cette fois-ci, c'est différent.

Elle respire à fond. Renifle. Se mord les lèvres. Pense à Niklas.

Non, ce n'est pas différent.

Il n'y a rien de changé.

Rien du tout.

Entre les merveilles de verre qui élèvent leurs fleurs tout au long d'une tige d'argent et les rideaux de satin, celle qui n'est plus Marie depuis trois ans s'interdit de pleurer et allume l'hologramme de son avenir.

25-fevrier-menthe----NB500---contraste-negatif

 

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RAT BUFFLE TIGRE

LIEVRE DRAGONSERPENT

CHEVAL CHEVRE SINGE

PHOENIX CHIEN SANGLIER

 

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