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Sinistre Disco Ball... 60  ans de dystopie psychologique
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C'est quoi ce truc ?
En un tout premier temps, Sinistre DiscoBall n'était qu'un pari idiot sur lequel je pensais me casser la figure avant d'avoir écrit le douzième du premier jet. En un second temps, il a été envisagé, sans trop y croire, de le publier en auto-édition numérique. En un troisième, envisagé de même mais sérieusement et assez follement. En un quatrième... nous y voici. Publication sur blog.Tout  simplement. 

Description du projet : ICI.
Complément à description : LA.

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20 juillet 2020

1.16 > Trois mois de mariage.

 Chien de Feu.

2066

 Tanya.

Parce que Patrick n'en pouvait plus de se disputer sur ce sujet avec ses parents et son frère, et parce que Red n'est plus là pour dire que c'est une mauvais idée, Tanya a dit « oui ».

Au bout d'un moment, il faut savoir trancher.

Depuis le début, elle savait qu'elle le ferait, mais elle aurait voulu que ça se passe autrement. Elle espérait une belle fête avec les deux familles se réjouissant de bon cœur. Au lieu de ça, le mariage a été expédié sans cérémonie et consommé dans la chambre numéro 126 d'un motel de magnétogare. Averties par e-mail, les familles n'ont pas daigné se manifester. Sauf Stuart, par Kiona interposée. Elle les a félicités et a excusé son chéri en le disant en voyage. Comme elle fait toujours en pareille circonstance, elle a offert une collection de porte-bonheurs. Celui-là pour la bonne entente, celui-là pour la santé, celui-là pour ne manquer de rien, celui-là pour avoir de beaux enfants... Patrick a grimacé, mais Tanya les a acceptés gracieusement.

Ces babioles sont peu encombrantes et plutôt décoratives. Elle a promis de les disposer partout où ils poseront leurs valises. Balader des objets familiers, quand on mène une vie itinérante, ça donne une petite illusion de « chez soi ».

Des cousins de Patrick ont envoyé une jolie mallette de voyage, équipée pour les repas, la toilette et tout ça. Cadeau de mariage à des voyageurs permanents. Modèle unique, en plus fabriqué tout exprès pour eux et avec la serrure décorée d'un petit blason à leurs prénoms. Il y a même un petit projecteur holographique à brancher dans le train pour ne pas s'ennuyer en route. C'est gentil. Touchant. Elle les connaît très peu et ne les trouve pas très agréables à fréquenter, mais leur cadeau est un idée adorable. Et puis, au milieu de tous ces parents et amis qui grincent des dents en les voyant ensemble, eux se contentent de sourire gentiment. Olivier, surtout, qui prend souvent de leurs nouvelles et leur facilite parfois de trouver des places et un wagon pour les chevaux. Il pourrait les aider plus, mais Patrick aime se débrouiller seul et il pourrait se fâcher.

Ce mariage n'était pas une erreur. Non. Mais il ne plaît pas, et d'y songer, Tanya sent un gros nœud la pressurer.

Cela fait déjà trois mois.

Pour ne rien changer aux bonnes habitudes, l'hiver est venu tôt et tourmenté. La neige et les papa-noël voisinent sur les panneaux holographiques, dans les rues, dans les boutiques, dans les couloirs de la petite pension où ils ont pris logement.

La semaine dernière, leur chemin et une panne de voie magnétique les ayant conduit à se trouver dans la région, le jeune couple s'est rendu à la réserve indienne. Là-bas, l'hiver est abominable, malgré la climatosphère posée au-dessus du village. Rendre visite à Grand-Mère Nuage et à toute la famille, aux amis et aux montagnes. Tanya pensait que ça lui ferait du bien, mais pas tant que ça en fait. Cole, son petit frère, les a plutôt bien accueillis, mais beaucoup de voisins et cousins les ont regardés de travers. Elle n'aurait pas dû se marier si vite après l'assassinat de Red. On le lui a fait sentir.

Grand-Mère Nuage a semblé contente, au moins. Elle a même passé un long moment à discuter et plaisanter avec Patrick. Il a même accepté qu'elle lui mette au cou un petit médaillon en corne. Quand Tanya lui a demandé ce qu'ils se sont raconté, il a souri et dit « elle est marrante ta grand-mère. ». Rien de plus.

Ce mariage n'a pas plu à leur agent, qui craint de voir débouler une grossesse sur leurs dossiers déjà pas faciles à gérer, et ne le cache pas. Ce serait désastreux pour la carrière de Tanya qui, dit-il, commence à décoller. Tanya n'a pas vu grande différence, mais Patrick confirme. Le public n'est pas plus nombreux, et diminue même un peu, mais les lieux où elle se produit sont plus réputés qu'avant. Au final, elle gagne plus et commence à intéresser un peu les chroniqueurs artistiques.

Patrick rêve toujours d'une voiture, mais continuera d'en rêver. Ses spectacles à lui font rarement recette. Il a pourtant mis son orgueil de côté pour demander conseil à son père. Selon lui, la maîtrise technique est parfaite et les illusions obtenues impeccables. Le problème serait dans la mise en scène, qui ne fait pas assez rêver. Le public est devenu exigeant, préfère les grands show musicaux, même quand ils n'ont rien de magique. L'apparence de surnaturel ne fait plus recette, et s'attire facilement le qualificatif de « ringard ». Les petits spectacles à l'ancienne doivent mettre les bouchées doubles pour séduire à peine quelques quidams. Dans l'ensemble, Gary encourage son fils mais ses explications n'incitent pas à l'optimisme. Le problème n'est même plus dans la course au grandiose, mais dans la lassitude d'un public inerte et désabusé qui va au spectacle comme les loubards se gavent de kerag. Sans y croire. Ennuyé d'avance.

Leur agent, plus simplement, dit que les illusionnistes ne sont pas à la mode et que tous ceux qu'il connaît ont les mêmes difficultés. Les gens sont blasés, voilà tout. La virtualité omniprésente les a habitués à ne s'étonner de rien, et la poésie des mises en scène touche de moins en moins de monde. Patrick est doué avec les chiffres. Il lui a conseillé de changer de métier. Devenir comptable dans une entreprise, ou bien investir dans une petite épicerie-bistrot. C'est très tendance en ce moment. Si l'emplacement est bien choisi, on vit bien avec ça. Plutôt que d'écouter l'histoire du beau-frère qui en tient une et qui a fait installer un écran holographique sur un mur entier, Patrick a fichu de camp en claquant la porte et en oubliant Tanya sur sa chaise.

Elle était affreusement gênée.

Il a pourtant des qualités ! Doux et prévenant, il la traite comme une princesse. Devine ses rêves et ses envies. Fait de son mieux pour les satisfaire ou lui en donner un erzatz pas trop décevant. Ne laisse aucun malotrus la regarder d'un peu trop près ou lui sortir un truc macho ou vaseux. Parfois, pris d'une envie de cabotiner, il improvise une sérénade au restaurant, entonnant un air d'opéra ou une balade irlandaise. Si les serveurs le laissent aller jusqu'au bout, il conclut en volant une fleur dans une corbeille et en venant la lui offrir à genoux. Il est déjà arrivé qu'il se rasseye sous les applaudissements de toute la salle.

Cette manie est arrivée aux oreilles de leur agent. Il leur a donné deux listes de restaurants. Ceux qui ont apprécié, et ceux qui ont perçu cela comme une gêne pour les clients. Il a ajouté « dommage que vous n'ayez pas tant d'inspiration pour vos spectacles ». Bien entendu, Patrick s'est fâché du commentaire. Il a quand même tenu compte des deux listes.

A la réserve, Cole et lui ont chanté ensemble, le soir. Un ami qui les a entendus prétend que Patrick a une voix « à faire briller les rochers après le coucher du soleil ». Il devrait peut-être devenir chanteur. Enfin, ça c'est l'avis de Tanya, et comme elle n'y connaît rien, elle ne dira rien. Il aime trop la magie pour y renoncer.

Ses cousins sont partagés. L'aîné pense que cela ne lui conviendrait pas. Le second est sûr qu'il ferait un malheur. Leur sœur est certaine qu'il aurait du mal à choisir son style, parmi tous les mouvements de mode qui bousculent l'ancien et le nouveau. Ces dernières années, ça va dans tous les sens, les nouveautés fourmillent, la plupart retombent aussitôt lancées. La musique, en ce moment, c'est un infernal quitte ou double en lequel pas mal de gens se suicident d'avoir perdu ou tombent malade d'avoir gagné. Elle lui conseillerait plutôt de louer sa voix aux personnages holographiques, mais en fait ne le fait pas parce qu'il ne supporterait pas leurs programmateurs. Ils sont tous plus fous les uns que les autres, surtout ceux qui ont du talent.

Ce soir, il fait les comptes de leur petit ménage sans foyer.

Depuis le lit, Tanya le regarde s'arracher les cheveux en tapotant sur l'écran de poche qu'il a étalé sur la table. Dans la pénombre de la chambre, l'engin projette des lueurs bleues et mauves au plafond. Elle gagne plus, mais visiblement pas assez pour compenser ce qu'il perd.

Ce n'est pas grave.

Ils sont ensemble.

Dans un mois... dans un an... un jour ça ira mieux.

Ils sont ensemble et ils aiment leurs métiers. Le reste n'a pas d'importance.

Sur la commode, les petites figurines en vrai bois peint à la main veillent sur eux.

Tanya tend le bras pour attraper celle pour « ne manquer de rien ».

– Toi, va falloir te réveiller un peu. Mon Patrick, il a besoin de toi.

C'est bête, de causer à une statuette. Même tout bas. C'est bête, mais ça soulage.

D'avoir fait ça, elle a le cœur moins lourd.

Mais tout à coup, un peu envie de pleurer.

2018--grande-roue

 

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Commentaires

RAT BUFFLE TIGRE

LIEVRE DRAGONSERPENT

CHEVAL CHEVRE SINGE

PHOENIX CHIEN SANGLIER

 

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