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Sinistre Disco Ball... 60  ans de dystopie psychologique
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C'est quoi ce truc ?
En un tout premier temps, Sinistre DiscoBall n'était qu'un pari idiot sur lequel je pensais me casser la figure avant d'avoir écrit le douzième du premier jet. En un second temps, il a été envisagé, sans trop y croire, de le publier en auto-édition numérique. En un troisième, envisagé de même mais sérieusement et assez follement. En un quatrième... nous y voici. Publication sur blog.Tout  simplement. 

Description du projet : ICI.
Complément à description : LA.

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5 octobre 2020

1.24 > Un gros disparaît, des petits arrivent

 Année du Rat de Terre.

2068.

Roberto.

Assis sur la vieille banquette crevée de partout, les coudes sur le dossier, Roch prend ses aises en argumentant tarifs des convoyeurs, risques de magnétoroute, location de véhicule, marché à la demande et stocks limités. Inutile de marchander. Impitoyable, sûr de la position de force que le coup de filet des flics lui donne temporairement, il ne bradera pas un seul comprimé, quant aux flacons de la version liquide, plus personne dans le Losange n'en possède une goutte.

C'est pas cher, le kerag, d'habitude, surtout dans les quartiers comme ceux du Losange. En ce moment, ça vire au produit de luxe. Y'a bien un quart des habitants qui s'arrachent les cheveux. Ce qui est consolant c'est que chez les richards, la disparition du Marionnettiste a eu des effets encore plus radicaux. Il était le seul à vendre jusque dans les beaux quartiers.

Pas plus qu'aucune des filles du bar ou les gamins aux yeux hagards qui rodent près de la porte, la chanteuse blonde n'a d'argent pour payer, mais elle a d'autres arguments et il est clair qu'ils feront mouche. Et tout autant qu'elle le sait. Le beau Roch, comme toujours, ne la quitte pas des yeux. Il ne remarque même pas que la serveuse, en posant son verre, lui a presque collé sa poitrine sous le nez. Faut-y qu'il soit bien harponné ! Malheureusement, il a beau être joli garçon, elle n'a jamais accepté de monter l'escalier avec lui, et lui accorde tout juste ce qu'il faut pour ne pas l'expédier sur les roses. Se le garde sous la main, quoi. Prudente et prévoyante, elle guette la façon dont le vent va tourner. Quand il a commencé à lui faire de l’œil, il était clairement trop pauvre pour elle. A présent, il lui a pourtant offert quelques cadeaux, et ce qu'il veut obtenir en remerciement, faut pas être devin pour le piger. Le petit trafic qu'il est en train de mettre en place avec un pote pourrait bien faire de lui un Crésus. Elle le fait lanterner avec des œillades, des mots gentils, des petits bécots. Faudra quand même qu'elle se décide. Roch Tête-Rouge n'est pas connu pour sa patience.

On la voit rarement consommer du kerag. Elle est loin d'être aussi accro que cette bande de mômes qui guettent avec des yeux affolés par le manque, mais Roberto est prêt à parier qu'elle aimerait bien en avoir un peu aussi. La rareté du produit a rendu la clientèle du bar agitée, l'ambiance vire au tourbillon permanent. Les filles du spectacle et les serveuses sont épuisées.

Pauvres petites créatures qui tentent à tour de voix, de cuisses et de nichons de rendre un peu d'humanité à des fantômes... gentils anges d'espoir et de rêve dans cet enfer sans issue. Et leurs homologues masculins en sont au même points. Que les cibles soient hommes ou femmes, homo ou hétéro, c'est kif-kif bourricot. Tous pires que crevés. Affamés de kerag comme des zombies de chair.

Roberto renifle un peu son pseudojus. Le parfum trop artificiel ne lui évoque pas grand-chose. Ou peut-être les déodorants d'intérieur de sa femme. Glougloute une paire de gorgées en contemplant le va et vient des fantômes. Le feuilleton vire au thriller sombre. S'approche du film d'horreur.

Personne dans le coin n'a le choix. Trop d'arrestations, trop de saisies. Ou bien les camés du quartier achètent à Roch, ou bien ils deviennent fous. Certains tentent de quémander à son copain Alex, connu comme moins féroce, malgré sa carrure de monstre. Une ambiance bizarre et inquiétante règne dans les ruelles. Des regards inquiets et nerveux. Souvent des bagarres, jusque dans les bars et au cœur des squats les mieux organisés. Alors, même si c'est sans espoir, ils sont nombreux à essayer d'amadouer le seul vendeur capable de les sauver. Impitoyable il monte les prix au lieu de les baisser.

Timidement, quatre mioches s'approchent. Ils doivent avoir entre douze et quatorze ans. Aussi sec, ils se font expédier sur les roses. L'un d'entre eux veut insister. Roch fait signe à un des autres d'approcher. Un garçon au visage doux encadré de boucles brunes. Mieux vêtu que la moyenne locale. L'éclairage du bar lui fait des mèches aux tons aquatiques. Roberto se dit que le freluquet aux dents longues devrait changer de table. A lui, les lampes font des tifs d'une intensité bleue ridicule. Devrait se rapprocher de la vitrine, ou au contraire de la scène. Pas rester là. En plus, ça lui fait un teint de cadavre et lui maigrit le visage. Un spot rouge clignotant fait tomber des variations mauves sur son crâne. Ça, plus son blouson jaune et rouge déchiré mais orné d'épaulettes pailletées et que la lumière colore en vert et marron... Tout ça lui donne une allure assez conne et peu digne de ses ambitions. S'il veut devenir un vrai chef, il lui faudra un conseiller en image. Roberto rigole dans sa paille, puis l'agite dans son gobelet pour agacer Roch qui déteste ce tintement de métal heurtant du verre. Et dire que sa femme perd son temps devant des mauvaises séries mal ficelées !

Ah non. Elle prépare l'anniversaire de leur petit-fils Bobby. Douze ans demain. Rat de Feu, il est.

Ça lui va bien « Rat de Feu », à ce petit fouinard débrouillard énergique et rusé.

– Toi, reste ici... les autres, vous décampez.

Il a les yeux rivés sur la scène, où la chanteuse termine son couplet. Elle connaît son public. Sait que celui-là ne demande qu'à lui offrir un verre et pas mal d'autres choses avec. Présomptueux de jeunesse, mais tout à fait capable d'arriver à ses fins, le beau Roch fait signe au gamin de s'asseoir à proximité. Se désintéresse déjà de lui. Décoche à la chanteuse un regard ardent, auquel elle répond par un sourire à la fierté savamment calculée, avant de s'engloutir dans l'ombre de l'arrière-scène en laissant la place à un jeune chanteur à la voix aigre mais au tonus étrangement tranquille, dans l’atmosphère électrique du moment.

– T'éloigne pas, petit. Mon associé va arriver. Il ne s'occupe pas des ventes, mais il aura peut-être quelque chose pour toi quand même.

Un piment rouge déguisé en sirène passe la porte des coulisses et chaloupe en faisant résonner ses talons aiguille. Sans demander la permission, elle pose ses jolies fesses sur la banquette et se coule au plus près possible du beau gosse, lequel maîtrise très vite sa surprise. Depuis le temps qu'il espérait ça ! Il roule sans vergogne un patin long comme ça. Sûr de lui, et comme si elle était sa copine pour de bon. Frime pour lui-même et pour les clients du bar qui regardent. S'interrompt le temps de commander deux verres du cocktail le plus cher, et se change en sangsue. Pas riche, d'accord, mais il sait ce qu'il veut, et il l'exprime bien clair.

Sur son tabouret, l'enfant lorgne un coup vers eux et un coup vers la porte. Il attend, inquiet. Le grand Alex, dans le duo, c'est celui qui s'occupe des stocks. Voilà une demi-heure, il était juste devant, à discuter tarifs avec deux filles. Des nanas aux cheveux quasiment rasés et avec un flingue dans le blouson. Il embauche à tour de bras, ces jours-ci, à ce qu'on dit. L'ennui c'est d'abord qu'y faut le profil demandé, ensuite qu'y faut tenir le coup. Paraît qu'il est exigeant, et Roberto y croit volontiers. Hommes ou femmes, ceux qui bossent avec lui, c'est des sacrés durs à cuire. Pourtant, il engage pas que les plus malabars. Des fois, il en prend, c'est limite mauviette. Hier encore, Roch a râlé à cause de ça. Pour la peine, Alex en a ajouté un sur qui il hésitait. Mais rien que des coriaces avec un caractère inoxydable. Pour supporter l'entraînement d'enfer qu'il leur fait subir entre deux missions de surveillance ou de castagne, faut pas être moins que rien.

Quand la silhouette épaisse barre la porte, une ombre tombe dans l'allée. Le gars est franchement impressionnant. D'abord parce qu'il a l'air d'une publicité pour salle de musculation. Ensuite parce qu'il porte une fine barbe noire très pointue et un as de Pique tatoué sur le front. Plusieurs clients de la Baleine Bleue s'écartent devant lui en évitant même de le regarder. Il a sa démarche un peu brutale des mauvais jours, celle des moments où le coup de poing lui échappe facilement. Et puis, dans le duo, c'est lui qui fait le coup de couteau ou de laser, quand il est besoin. Il se dirige vers la table où se trouvent Roch et la chanteuse, l’œil lourd, et y dépose une sacoche. Il en a encore trois sur l'épaule, qui seront sans doute distribuées aux revendeurs contactés par le freluquet. S'il a songé à sa mission de recrutement, ce dont Roberto n'est pas certain. Le petit prétentieux a passé sa journée à frimer comme un caïd, mais pas vraiment à bosser.

Le géant a l'air fatigué des nerfs, et il est couvert d'une horrible poussière. Depuis qu'ils sont revenus avec du kerag, il est souvent comme ça. Les caisses doivent être planquées dans un endroit pas très agréable à visiter. Bottes, pantalon, cheveux... ça fait peine à voir. Le blouson et le bas du visage sont épargnés. Il a dû se défaire de l'un et masquer l'autre, pendant qu'il remplissait les sacoches.

– Encore à perdre ton temps... où t'en es, avec la marchandise ?

– Ça part bien. Je pouvais en lâcher plus, mais il aurait fallu baisser les prix.

Roch se lève, comme s'il avait besoin de se dégourdir les jambes. Souriant, tranquille, il va et vient dans l'allée. Fait un peu de théâtre. Il n'aime pas passer inaperçu. Essaye de compenser qu'il est plus fluet que son pote, et qu'il le restera. Bavasse sur l'intérêt de laisser mijoter les drogués et les petits revendeurs, les prix qu'il fait grimper et l'absence de flics dans le Losange parce que les beaux quartiers sont en proie à une soudaine délinquance. On sait jamais s'il bluffe ou dit la vérité, alors que Pique est pas bavard mais toujours franc. Le freluquet est invariablement bien coiffé. Cheveux courts mais pas trop ras, chose plutôt rare dans les quartiers pauvres. Souvent un foulard autour du cou, sûrement pour faire joli. Jamais deux jours de suite le même t-shirt. Dommage qu'il ait toujours l'air d'un perroquet. Aujourd’hui, pour montrer qu'il a des sous en poche, il s'est inondé d'une lotion parfumée. Même que le grand Alex semble trouver que ça cocotte un peu trop.

– Y'a des flics qui rôdent plein le secteur. Z'ont l'air de se préparer à un nettoyage de plus. Glande pas trop. Trouve des sous-traitants, qu'on reparte se faire voir ailleurs.

Le ton du baraqué est sans appel. Le beau gosse, sans perdre son sourire, revient s'asseoir. Il tire par le bras le gamin aux jolies boucles.

– On est pas si pressés, non ?

– Toi, tu n'es pas pressé. Trop content de t'amuser avec ta poupée, d'autant qu'à ce qu'il me semble, elle a l'air prête à te laisser enfin le faire autant que t'as envie. Sauf qu'on a échappé à deux coups de filets et que ce serait dommage de nous faire prendre dans un troisième.

– T'es trop nerveux, Alex. Cool ! On est les rois, tu vois pas ? Relaxe ! Fais la fête !

– Tout juste. On est les rois et c'est nous que les flics voudront choper s'il leur prend l'idée de pacifier un bon coup les alentours de la gare.

Durant les années où on ne le voyait plus, Pique a dû pas mal voyager. Il est à l'aise avec les déplacements. Et puis, tous les deux, ils se sont très vites adaptés aux motovolantes. Ils sont même d'une habileté diabolique avec ces engins. Belle équipe, qui a su ramener d'on ne sait où le précieux kerag. Voyage et stockage organisés par le costaud malin. Ventes par le beau roublard.

La femme de Roberto dit que Pique est « Chien d'Eau » et son copain « Lièvre de Feu ». Lui, il parierait pourtant que le plus carnassier des deux, c'est le petit sournois.

Comme pour confirmer ce que le vieil homme ricane au fond de son crâne, Roch pousse le gamin vers son comparse.

– Fais pas ta mauvaise tête, Alex... tiens, regarde un peu ce que j'ai trouvé.

Le géant croise les bras. Cherche sans doute comment réagir. Doit avoir rudement envie d'écraser la tronche du petit faignant insolent. Reste impassible sous ses lunettes de soleil, qui brillent dans la lumière bleue. Réfléchit. Roberto essuie sa moustache tachée de pseudojus parfum pomme-fraise. Ricane en jaugeant l'ambiance dans le bar, et surtout aux tables les plus proches. Si Roch a fait ça pour que la clientèle ait une occasion de se payer la tronche de son pote, y'a des chances que ça fasse une belle baston. Toute la question, c'est de savoir si on attendra que le baraqué soit parti pour voir voler la première mandale.

2018--tete-place-du-Bareuzai---NB

 

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Commentaires

RAT BUFFLE TIGRE

LIEVRE DRAGONSERPENT

CHEVAL CHEVRE SINGE

PHOENIX CHIEN SANGLIER

 

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